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LES DÉRACINÉS

au bout de trois ans, la Vraie République appartiendra en propre à Racadot.

Tous, d’abord, crurent devoir admirer.

— Ce serait superbe, dit Rœmerspaeher, mais une seule chose est sûre : à savoir que dans l’année il devra payer cent quatre-vingt-seize mille six cents francs. Les a-t-il ?

— Tu supposes qu’il ne ferait aucune rentrée ! C’est inadmissible… Vous vous rappelez qu’il nous a toujours parlé de l’héritage de sa mère ? Son père le lui aura livré.

— Pauvre garçon ! dit Saint-Phlin. Avec cette somme-là, comme il aurait des vignes et qu’il serait tranquille à Custines !

Renaudin, pendant deux minutes, fit les gestes d’un homme d’action qui entend radoter. Puis il parla :

— Pour que votre journal eût à peu près une certitude de réussite, il faudrait un million ! Sans ce capital, tout dépend du hasard, c’est-à-dire, au cas particulier, de l’intérêt que vous présenterez au lecteur. L’Intransigeant n’a jamais touché au versement de ses souscripteurs : il a vécu sur la vente de son premier numéro. Racadot, probablement, n’est pas millionnaire : que nous chaut, dès lors, s’il dispose de cent ou deux cent mille francs ? C’est votre effort qui suppléera.

Devant un problème ainsi posé, ces enfants, qui n’avaient qu’une éducation de héros, se fussent méprisés de reculer.

Quand Racadot connut qu’ils acceptaient, il alla se promener au Luxembourg en tenant Mouchefrin par