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LES DÉRACINÉS

mêlée à un réel intérêt, une légère pitié, comme devant les naïvetés d’un débutant.

On lui posa quelques questions sur la vie des maçons, sur les difficultés de ses études, sur l’esprit de la jeunesse qu’il enseignait ; mais l’importance que lui-même attachait à ces détails diminua celle qu’on leur aurait accordée.

Il n’avait de goût qu’à parler sérieusement, et cela choquait. Au vrai, parmi tous ces hommes agités ou fatigués, car l’effort pour arriver au pouvoir épuise, il était trop neuf : on le sentait disposé à exiger trop des individus.

— Ma foi ! — dit, entre ses dents, le gros directeur du grand journal parlementaire, — c’est joli d’avoir monté « l’oiseau » ; mais je suis plus sûr que Rouvier a été commis chez Zafiropoulo et il fait pour cela moins d’épate.

— « L’oiseau ! l’oiseau ! », — bougonnait un autre : — ça ne suffit donc plus d’être victime ou fils de victime du Deux Décembre !

— Alors, — disait le grand banquier à son voisin qui sourit, — ce monsieur va prendre en main les intérêts du baron ?… Il porte cela avec bien de la dignité !

Cependant l’économiste, d’un ton académique, c’est-à-dire dont l’ironie n’était perceptible qu’aux initiés, se chargeait de réparer ce qui dans les propos avait pu choquer cette recrue.

— Je connais depuis longtemps M. Bouteiller, et je sais que Gambetta l’appréciait tout particulièrement… Quand les puissants drainages que par l’instruction gratuite nous opérons dans les masses profondes n’amèneraient à jour que M. Bouteiller, la