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LES DÉRACINÉS

Son premier mouvement fut de prévenir Sturel qui, le précédant de trente mètres, n’avait pas croisé la jeune femme venue par un bas-côté. Encore sous l’influence de cette atmosphère héroïque, Sturel était allé à Racadot, le tenait par le bras, lui parlait avec animation, lui disait qu’il avait quelquefois douté de lui, mais qu’ils uniraient leurs efîorts pour réaliser une belle œuvre. Rœmerspacher, conscient de cet enthousiasme qu’il regardait avec des sentiments de véritable ami, ne voulut pas l’en distraire par une histoire de petite femme.

L’admiratrice des princes géorgiens appréciait trop peu le genre d’agrément physique de ces petits Lorrains pour se souvenir de les avoir aperçus, trois années auparavant, qui traversaient la cour de la villa. Peut-être cependant les trouvait-elle sur le modèle de ce singulier François Sturel qui demeurait dans son esprit comme un échantillon aimé. Marchant vers la sortie parallèlement à Mouchefrin, elle l’inspectait avec une telle persistance que Saint-Phlin, qui n’a jamais eu de psychologie, dit au physiologiste Rœmerspacher :

— Le dœmon meridianus inquiéterait-il les Parisiennes comme il tracasse les moines dans leur clôture ?

Ils ne purent s’empêcher de sourire, car cet insecte de Mouchefrin, assurément, n’était point de ces jeunes gens à la peau blanche, avec une nuque grasse, où l’on dit que les femmes honnêtes ont tant de plaisir à enfoncer les doigts. Pourtant, de petite taille, les cheveux très épais et crépus, avec la prétention des nains qui se dandinent, il était de ces garçons que, par un instinct justifié, paraît-il, cer-