Page:Barrès - Les Déracinés.djvu/256

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
246
LES DÉRACINÉS

— Écoutez ! Nul doute que l’avenir dépende des forces qui agissent autour de nous, mais, s’il s’agit de les interpréter, chacun proposera une leçon différente. Dès lors, c’est prudence de parler du futur comme s’il échappait à nos procédés d’investigation, et nous lui appliquerons le mot de Claude Bernard : « Chacun doit rester libre de l’ignorer et de le sentir à sa manière… » Le problème est simplement de s’associer à l’énergie nationale, de distinguer sa direction et d’accepter ses diverses étapes.

— Eh bien ! répliqua Suret-Lefort, le régime organisé par Gambetta est encore solide. Pourquoi se buter contre ? Pourquoi ne faisons-nous pas cause commune avec ses amis ?

Ce même Suret-Lefort, dans cette fameuse nuit où Rœmerspacher arriva de Nancy, brûlait d’attaquer tout le gambettisme ! Le jeune ambitieux, déjà un peu maté, aura heurté le mur d’airain.

— Morale d’esclaves ! s’écria Saint-Phlin. Les amis de Gambetta finiront à Mazas.

— Bah ! ils lâcheront à mesure les plus compromis, interrompit Renaudin.

— L’entourage d’un héros, continua Saint-Phlin, n’est pas une chose distincte de sa personne et qu’on puisse accabler en l’exaltant. Le rayonnement d’un homme est une partie essentielle de son être. Celui qui rayonne en MM. X…, Y…, Z…, pâlit et va s’éteindre.

Suret-Lefort et Renaudin se regardèrent, en souriant du naïf Saint-Phlin.

— Ce qu’il y a d’exact, seigneurs, dit Renaudin, c’est que l’opportunisme n’a pas besoin de nous… Heureusement, la nouveauté et l’imprévu sont tou-