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AU TOMBEAU DE NAPOLÉON

des hommes et les lois des sociétés. Enfin, ayant un métier, il se préoccupe d’y exceller et il analyse les campagnes des grands capitaines pour se familiariser avec le génie. On possède la liste des travaux que méthodiquement il s’imposa. Ils valent non point par l’étendue, mais par la puissance de sa réflexion utilisée avec constance dans le même dessein. Une méthode au service d’une passion, voilà Napoléon à vingt ans !

« S’attacher à des réalités ! se placer dans des conditions vitales ! » se répètent ces jeunes gens subitement éclairés sur l’art de vivre. Et, dans cet examen, dans cette vision concrète du jeune Bonaparte, leur vigueur trouve sa prise comme s’ils sortaient des sables mouvants où ils s’épuisaient pour mettre pied sur le vrai sol.

— 1789 ! La tempête soulève l’aigle, le force à s’élever. De grands rôles pouvaient devenir disponibles : il se jeta en Corse, son milieu naturel, le seul où il eût une raison d’être. C’est lui qui, à vingt ans, distribua la cocarde tricolore à Bastia… Redoublons ici d’attention…

« Trouver un but à son âme, lui fournir un idéal où elle relie tous ses désirs, et qui leur donne du ressort, voilà une besogne nécessaire. Mais ne soyons pas dupes de nos inventions ! Profondément, une âme n’a pas d’autre but qu’elle-même. Il ne faut pas que nous désertions notre propre service pour nous attacher à nos idoles. On a vu des esprits notables, égarés ainsi dans l’artificiel, se dévouer à une cause qui n’était plus la leur et, soit par goût du succès,