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LES DÉRACINÉS

ment un article sur les premiers volumes des Origines de la France contemporaine, de Taine.

Cet écrivain — vénérable par la masse de ses richesses, par sa puissance de coordination et par sa perception du divin moderne, — vaut spécialement comme professeur pour les esprits robustes et capables de supporter l’inévitable lourdeur de la véritable intelligence. L’enthousiasme du laborieux garçon pour un si honnête homme égale en intensité les sentiments que, de ses vils parloirs, Renaudin rapporte pour Portalis. Avec autant de jolie ardeur que les jeunes gens de Platon, Rœmerspacher et Renaudin, ignorants de la vie, pensent avoir besoin de maîtres. Le désintéressement, la reconnaissance de la supériorité sont deux qualités fréquentes. Seulement l’étudiant est né avec une âme pleine de goût, et il n’a pas l’esprit tendu à gagner sa vie : voilà comment il s’est choisi un modèle qui passe celui du reporter. Toutefois, ces deux jeunes gens s’apprécient.

— Parfait, dit Renaudin. Le croiras-tu ? moi, qui ne comprends rien à la littérature telle que l’entendent tes amis les poètes, j’ai lu, j’ai compris les livres de Taine. Ils ont justifié à mes yeux le mépris de notre système social auquel arrivent, par d’autres chemins, mes amis des réunions publiques.

Rœmerspacher ne releva pas cette phrase qui le frappait. Il la commenta avec Sturel. Elle leur fournit une de ces vérités que notre jeunesse découvre avec fierté, et par la suite a toujours du plaisir à vérifier : la plus forte besogne de négation dans notre société n’aura pas été faite par ses ennemis affichés ; auprès des grands philosophes admis par les pouvoirs offi-