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LES DÉRACINÉS

titué sans s’y mettre en nom, pour avoir sous la main un instrument, lui mangeait en six mois 60,000 fr., car le public à cette date, n’appréciait que les feuilles érotiques. La pornographie exploitée par de prétendus lettrés enthousiasmait le public. Portalis mit sur pied l’affaire du Grand-Café. Girard aurait pu s’en tirer : la serviette du gérant de café n’eut pas plus gêné cet excellent esprit que la serviette du professeur ; Portalis ne pouvait pas surveiller les plongeurs. Faute de surveillance dans le détail, ce théoricien manqua encore cette exploitation que de plus humbles eussent réalisée.

Ses échecs, comme il arrive toujours, lui firent la réputation d’un homme d’affaires. Tous les bandits de Paris apportèrent dans son cabinet leurs combinaisons. Avec ces faiseurs, il accentua son ton brutal, son air de dompteur. Sa vanité lui composa l’attitude d’escarpe que les délicats lui reprochent, parce qu’il préféra cette réputation à celle de maladroit. Roulé par les uns et responsable envers les autres, il choisit de paraître associé à la malhonnêteté des premiers plutôt qu’à la naïveté des seconds.

Le Seize Mai arriva. Le centre droit fut bouleversé. Portalis aurait voulu un siège à Paris. Mais parmi tant de champignons électoraux surgis au lendemain des orages, il n’y avait pas de place. C’est alors que Lepelletier (le banquier de la rue de Londres), qui avait affermé tout le Petit Lyonnais, journal considérable de Lyon et d’un tirage de 100,000, offrit à Portalis de lui céder une partie de son droit, soit la direction politique. Girard fut nommé président du conseil des intéressés. La politique de Lyon est très difficile. Les partis y sont des partis d’intérêts. C’est