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LES DÉRACINÉS

ligence. De leurs ardeurs inutilisées, il reçut un prodigieux éclat. Certes, Maurice Rœmerspacher, Henri Gallant de Saint-Phlin, François Sturel, Georges Suret-Lefort, Alfred Rénaudin, Honoré Racadot, Antoine Mouchefrin, tout ce petit troupeau, en marche pour la vie et encore indiscernable, paraîtrait arriéré à des « philosophes » de Paris. Bien qu’en eux une force d’hommes soit prête à éclater, ils demeurent, par le geste et le vocabulaire, des enfants. La formation n’est pas hâtive en province, mais peut-être ces jeunes gens, qui profitent d’une longue hérédité campagnarde et dont nul bruit de la vie ne détourne l’enthousiasme, ont-ils une naïveté plus avide, plus réceptive, que les merveilleux adolescents parisiens, un peu débiles et déjà de curiosité dispersée par leurs plaisirs du dimanche.

Jeunes sauvages, serrés sur leurs bancs, ils l’écoutent, l’observent, un peu méfiants, le guettent et s’apprivoisent par l’admiration. Ils allèrent jusqu’à s’émerveiller qu’il fût d’une propreté parfaite. En eux apparaissaient les éléments de poésie de la puberté, certaines délicatesses qui se perdaient en minuties pour n’avoir pas encore trouvé leur direction. Ce jeune homme au teint mat, qui avait quelque chose d’un peu théâtral, ou tout au moins de volontaire dans sa gravité constante et dans son port de tête, fut confusément l’initiateur de ces gauches adolescents. La jeunesse est singe : on cessa de se parfumer au lycée de Nancy, parce que Paul Bouteiller, qui n’avait pas le goût petit, séduisait naturellement.

Ils l’associaient à toutes les notions qu’ils s’étaient amassées du sublime moderne. Dans un âge où les