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UN HASARD QUE TOUT NÉCESSITAIT

des affaires et sans l’attrait du scandale, soit que son autorité attire assez d’abonnés, soit que ses amis le soutiennent ; mais un Portalis, avec son talent brillant et tous ses appels à la curiosité, n’est jamais sûr que sa vente durera six mois, ou qu’un procès ne le tuera pas demain. Un Gambetta, de plus, peut nourrir un personnel : il place ses pauvres auprès de ses amis riches, et même, par Laurier, jusque dans la droite ; on peut dire qu’il a fait de l’amitié une franc-maçonnerie. Le problème, de ce point de vue, se résume à trouver l’argent pour créer et nourrir sa clientèle, et c’est bien ainsi qu’il devait apparaître à un Portalis, infatué d’américanisme. Il résolut de demander aux affaires l’argent indispensable à son organisation politique.

Elles étaient fort à la mode. L’aristocratie ruinée et qui disposait alors du pouvoir s’y jetait. Il collabora d’abord à l’organisation des Messageries Générales. — Les compagnies n’avaient pas de tarifs pour les petits paquets. Au-dessous de cinq kilos, on payait pour cinq kilos. La Société dont Portalis fut un des organisateurs imagina de faire le rassemblement des petits paquets ; c’était un système de poste qui se mettait à la disposition des grands Magasins, groupant leurs envois et s’engageant à en faire la distribution dans les quarante-huit heures. Les compagnies firent des procès de toutes parts ; puis elles s’avisèrent d’abaisser le minimum de poids. C’est ainsi que d’une affaire excellente Portalis sortit avec de grosses parts de responsabilité civile qu’il s’agissait de diminuer, d’éteindre. Girard faisait les courses, apaisait les créanciers.

Dans le même temps, le Corsaire qu’il avait recons-