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LE LYCÉE DE NANCY

voisins et se plaisaient, ne polissonnèrent plus que durant les classes d’histoire et de géographie, de sciences et de langues vivantes.

À la fin de cette première semaine, ce fut un autre événement non moins significatif. Le proviseur, accompagné du censeur, se présentait chaque samedi pour lire les notes. De taille moyenne, bien pris dans sa redingote boutonnée, la physionomie impassible et si noble, M. Paul Bouteiller se tint un peu à l’écart. On observa qu’il affectait de ne pas regarder ces dignitaires administratifs. Il les dédaignait. Par là, il enthousiasma ces enfants révoltés.

Il leur parut un frère aîné et tout-puissant. Cette attitude l’égalait au professeur de mathématiques spéciales qui, un jour, d’un coup de pied, avait violemment fermé la porte laissée ouverte par le censeur. L’opinion salua leur indépendance. Les jeunes gens dirent en récréation :

— Un proviseur ! eh bien quoi ? c’est un policier !

Après cela, M. Bouteiller peut bien leur enseigner tout ce qu’il voudra sur le respect des lois, sur la discipline sociale. Il a méprisé, au nom de sa supériorité individuelle, un supérieur hiérarchique.

Cependant proviseur et censeur se consultaient :

— Ses allures confirment mes renseignements. Il a des protections.

— Qui donc ?

— Peut-être Gambetta ! dit le proviseur à voix basse.

Devant ces pauvres enfants, vulgaires, cyniques, habitués à craindre des maîtres que les plus développés s’élevaient seulement jusqu’à mépriser, M. Bouteiller tint l’emploi d’un jeune dieu de l’Intel-