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LES DÉRACINÉS

rougis par un travail tard prolongé. La méditation et les soins intellectuels mettent de la gravité sur la physionomie. Son regard n’était jamais distrait ni vague, mais le plus souvent baissé ; sinon, il regardait en face, et de telle façon qu’il n’eut jamais besoin de punir. Il avait du prestige et sut faire appel au sentiment de l’honneur. Il parla. Il leur dit sa haute notion de sa responsabilité, étant venu pour faire des hommes et des citoyens. Mais eux aussi, ils avaient des devoirs, de patriotisme et de solidarité. Quelques-uns prenaient des notes, il les invita à n’en rien faire :

— Ce ne sont pas les matières du cours ; on ne vous interrogera pas là-dessus à l’examen, mais plus qu’un diplôme, ceci est nécessaire : que vous réfléchissiez sur les liens qui nous unissent, afin que vous ayez une conscience plus nette de votre dignité…

À ce mot, un élève, Alfred Renaudin, se mit à rire : il ne lui était jamais venu à l’esprit que lui, lycéen, pût avoir une dignité.

Le professeur immédiatement se tut. Si superbe de raison inflexible apparut sa physionomie que la classe n’osa même point se tourner vers le coupable. Après un long silence :

— Messieurs, dit-il, je n’appliquerai jamais de punitions ; je les juge indignes du maître et des élèves ; mais ceux qui troublent l’ordre auquel nous avons tous droit quitteront la salle. Que l’inconvenant sorte !

Renaudin eut contre lui, disgrâce jusque-là inouïe, le sentiment de ses camarades.

Dorénavant, Racadot et Mouchefrin, qui étaient