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LES DÉRACINÉS

digieuse servilité pour tout ce qui représente une influence sociale. Il plaisante volontiers sur les femmes de la société républicaine, mais il admire profondément M. Jules Ferry. Il n’a pas l’intelligence assez large pour concevoir que l’intérêt n’est pas seul à mener le monde, qu’il se mêle souvent et qu’il cède parfois à des passions plus fortes, voire à des passions nobles. Enfin, travers impardonnable, il met de l’esprit où l’on n’a qu’en faire : il n’y a que les sots pour avoir toujours de l’esprit… Ce ton boulevardier fut exactement la manière de Paris sous le second Empire, d’où, en s’avilissant, il glissa au Café de la Comédie, dans les sous-préfectures et dans les casinos.

Aux critiques de Sturel et pour le taquiner, la jeune fille répond :

— Bien au contraire, je cherche deux autres Nelles !… À Nice, à Carlsbad, partout il me fallait toujours trois gardes du corps !… Vous ne montez pas à cheval, le théâtre vous ennuie. Ils n’auront pour eux que d’être jolis garçons ; je pense bien que vous n’avez pas la folie d’être jaloux de ces figurants ! Et quand il explique en quoi le baron de Nelles le froisse :

— Je veux que vous soyez amis, dit-elle. Il est presque aussi intelligent que nous.

La vérité, c’est que Nelles, avec aplomb, couvre mademoiselle Alison de compliments. Leur qualité choque le goût un peu provincial et par là peut-être trop délicat de Sturel. Mais ils enchantent la jeune fille et, comme une caresse qui lustre les plumes d’un bel oiseau, ils lui donnent plus de vie, plus l’éclat, plus d’attrayante irréflexion. Belle voix,