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UN HOMME LIBRE

le fidèle jusqu’à la chapelle où il s’agenouille. Mon âme mécanisée est toute en ma main, prête à me fournir les plus rares émotions. Ainsi je deviens vraiment un homme libre.

Pourquoi, mon âme, t’humilier, si de toi, pauvre désorientée, je fais une admirable mécanique ? Simon m’a dit, qu’enfant, il savait se faire pleurer d’amour pour sa famille, en songeant à la douleur qu’il causerait, s’il se suicidait. Il voyait son corps abîmé, l’imprévu de cette nouvelle tombant au milieu du souper, apportée par un parent qui peut à peine se contenir, ces grands cris, ces sanglots qui coupent toutes les voix pendant trois jours. Et, précisant ce tableau matériel avec minutie, il s’élevait en pleurant sur soi-même jusqu’à la plus noble émotion d’amour filial : le désespoir de peiner les siens.

Pourquoi les philosophes s’indigneraient-ils contre ce machinisme de Loyola ? Grâce à des associations d’idées devenues chez la plupart des hommes instinctives, ne fait-on pas jouer à volonté les ressorts de la mécanique humaine ? Prononcez tel nom devant les plus ignorants, vous verrez chacun d’eux éprouver