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un homme libre

je le félicitai, en l’enviant, car la nourriture et l’air des plages entravaient fort la régularité de nos digestions, où nous nous montrâmes toujours capricieux.

Le même soir, vers onze heures, réunis auprès de nos femmes dans le petit salon de notre frêle villa, je disais à Simon, avec la franchise un peu choquante des heures de nuit :

— Je t’avouerai que souvent je songeai à entrer en religion pour avoir une vie tracée et aucune responsabilité de moi sur moi. Enfermé dans ma cellule, résigné à l’irréparable, je cultiverais et pousserais au paroxysme certains dons d’enthousiasme et d’amertume que je possède et qui sont mes délices. Je fus détourné de ce cher projet par la nécessité d’être extrêmement énergique pour l’exécuter. Même je me suis arrêté de souhaiter franchement cette vie, car j’ai soupçonné qu’elle deviendrait vite une habitude et remplie de mesquineries : rires de séminaristes, contacts de compagnons que je n’aurais pas choisis et parmi lesquels je serais la minorité.