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UN HOMME LIBRE

« Vous le savez bien, Simon, s’il m’eût plu, j’étais un merveilleux instrument pour produire des phénomènes rares. Je penche quelquefois à me développer dans le sens de l’énervement ; névropathe et délicat, j’aurais enregistré les plus menues disgrâces de la vie. Je pouvais aussi prétendre à la compréhension j’ai un goût vif des passions les plus contradictoires. Enfin je suis doué pour la bonté ; je me plais a plaire, je souris ; en persévérant, j’aurais atteint à cette vertu royale, la charité. Mais décidément je ne m’enfermerai dans aucune spécialité ; je me refuse a mes instincts, je dérangerai les projets de la Providence. Que mes vertus naturelles soient en moi un jardin fermé, une terre inculte ! Je crains trop ces forces vives qui nous entraînent dans l’imprévu, et, pour des buts cachés, nous font participer à tous les chagrins vulgaires.

« Je vais jusqu’à penser que ce serait un bon système de vie de n’avoir pas de domicile, d’habiter n’importe où dans le monde. Un chez soi est comme un prolongement du passé ; les émotions d’hier le tapissent. Mais, coupant