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UN HOMME LIBRE

faire un peu mal aux nerfs, je lui dis la quitter pour deux mois. Ses larmes chaudes tombaient sur mes mains dans l’obscurité misérable. C’est ainsi qu’un peu après, seul dans mon wagon, je goûtai une petite mélancolie et une petite fierté, ce qui fait une délicate sensualité.

À imaginer ce sentiment sincère de petite fille qu’elle eut pour moi, tandis qu’elle sanglotait de mon faux départ, je me désole de mon mauvais cœur, et une vision d’elle, tout embellie et affinée, s’impose à mon souvenir : figure si épurée que je n’éprouve plus qu’un regret violent et attendri de la savoir malheureuse. Elle est de la même race que moi ; si elle entrevoit ce qu’elle devrait être et ce qu’elle est, combien elle souffre de ne pas vivre à mes côtés, pensant tout haut et se fortifiant de mes pensées ! C’est ma faute, ma faute irréparable, de ne pas lui être apparu tel que je suis réellement ! Oh ! ma constante hypocrisie ! mon impuissance à démêler ce qui est convenable, parmi tant de charmantes façons d’être, qui s’offrent à moi