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comme il ferait le récit d’une revue sur le plateau de Malzéville. Quel étrange, quel déconcertant spectacle, ce prophète qui mange une soupe et une salade, en racontant tout à son aise à deux vieilles femmes de campagne les extrêmes folies de l’imagination humaine !

Léopold a trouvé le bonheur, son bonheur. Ce n’est plus de construire des châteaux, c’est de délivrer le chant qui sommeille dans son cœur. Jadis, il voulait l’exprimer, cette musique profonde, en bâtiments, en cérémonies, en fondations, et maintenant il en jouit mieux que s’il l’eût réalisée dans une forme sensible. À cette heure, il s’enivre de ce qui faisait dans son âme le support mystérieux et puissant des œuvres qu’il rêvait de créer. Marie-Anne dessert la table, lave la pauvre vaisselle, mais ne cesse pas un moment de prêter l’oreille aux propos de son maître, et entre ces deux êtres, des intuitions et des visions d’un caractère si tendu et si solennel deviennent un paisible bavardage, un peu commun, qui dure jusqu’à ce que la vieille femme se couche.

Alors le pontife prend le recueil des lettres qu’il amasse précieusement de Vintras, et fort tard dans la nuit, sous la lumière d’une pauvre lampe, la seule allumée à cette heure