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il enveloppe et pénètre cette masure de ses sifflements, l’isole encore du monde. Et là-haut, sur le sommet, la ruine est pire, plus désolante que tout pour le cœur de François.

Ceux qui virent à cette époque le plateau de Sion ne l’ont jamais oublié. C’est une image qui, dans ce pays tout de repos et d’imagination assoupie, a exercé une influence énorme sur la formation de toute une jeunesse. « Lorsqu’on nous menait en promenade à Sion, me raconte un sexagénaire, ancien élève du collège de Vézelise, nous passions devant la chétive maison des Baillard ; on se la montrait du doigt et l’on disait tout bas : « C’est là qu’ils demeurent », car ils nous paraissaient marqués au front par le doigt de Dieu ; ils étaient hors de l’Église et pour lors des damnés. Et arrivés sur le plateau, nous faisions irruption, en vrais sauvages, dans leur grand couvent, ouvert à toutes les pluies et pas gardé. Nous nous croyions les vengeurs de la sainte Église, les soldats de Dieu. Nous salissions et brisions tout. Quel bonheur de jeter indéfiniment des débris, des pierres, des tuiles dans le puits très profond, pour écouter le temps qu’ils mettaient à toucher l’eau. Quelle volupté encore de faire écrouler une poutre, un plafond branlant… »