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légumes pour l’hiver, on causait des menus événements du jour, et Bibi Cholion faisait des plaisanteries dont les sœurs s’amusaient. C’était le couarail ordinaire des villages lorrains. Mais, pour Léopold, c’était bien autre chose ! Il croyait présider une de ces agapes fraternelles comme en tenaient les premiers Chrétiens. Et pour se conformer à l’usage des petites chrétientés primitives d’Éphèse, d’Antioche, de Pergame, qui avaient coutume de lire à haute voix les lettres de saint Paul, il se plaisait à communiquer à son auditoire quelque épître de Vintras, toute pleine de malédictions contre les Princes de l’Église et d’effroyables prophéties. Puis, tirant son journal de sa poche, il y cherchait la confirmation de ces sombres pronostics. Jamais en aucun lieu du monde on n’entendit lecture pareille. Léopold, ses lunettes sur le nez, déployait largement la feuille ; il la parcourait du regard, et tout de suite tombait en arrêt sur l’accident, sur la catastrophe du jour. Sœur Thérèse, debout derrière lui, se penchait pour regarder si nulle calamité ne lui échappait, et avant de tourner la page, il attendait qu’elle lui fit un signe de tête. Cette année-là, Léopold fut particulièrement bien servi ; en septembre, on eut des cas de choléra ; en