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LE CABINET D’UN MAGISTRAT

défendu en honnête homme. Qu’on me frappe, si cela doit faire cesser une situation générale vraiment épouvantable.

Cette phrase, toute de menace sous les dehors les plus honnêtes, remplit Sturel d’admiration. Il se rappela que dans ce même cabinet, devant un même juge, Racadot s’était débattu ; mais inadapté à la vie parisienne, mieux armé pour les querelles de cabaret, qui se règlent avec le poing et le couteau, que pour les diplomaties complexes, il avait été de ces ennemis de la société sur qui la Justice applique rigoureusement ses principes et non de ceux avec qui elle transige. Le jeune homme s’enivra de cette profondeur nouvelle ouverte à son regard.

Le juge reconduisit ses deux hôtes jusqu’à sa porte, et ceux-ci durent marcher, l’un suivant l’autre, dans le long couloir, puis ils descendirent l’escalier. M. de Lesseps se décida :

— Monsieur, je suis vis-à-vis de vous dans une situation bien gênante, car vous ne poursuivez rien moins que ma condamnation. Sturel répondit :

— Pas du tout, monsieur. Votre condamnation m’importe très peu. Je vois dans votre affaire un moyen de jeter bas les parlementaires qui ont sans doute exploité la Compagnie de Panama comme ils exploitent la nation entière.

— Oui ! nous avons été exploités ! Moi-même,