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LEURS FIGURES

L’air des bois en automne, de la même manière que le chloroforme, contraint à des aspirations profondes. Une senteur, une fièvre s’échappe des morts végétales, très puissante sur un nerveux comme Sturel et sur un déprimé tel que l’était cette semaine Bouteiller. De leur profonde conscience, sous la pression des mêmes événements, un double chant s’élève, contradictoire, après douze années d’expériences parallèles :

sentiments de sturel sentiments de bouteiller
1. Je souffre du jugement de Saint-Phlin, de Rœmerspacher, de Suret-Lefort et de Mme  de Nelles, qui me tiennent pour un révolté. Ils m’admireraient si j’avais réussi. L’opinion qu’ils se font de moi n’est pas très généreuse, pourtant je la reconnais légitime. En effet, quelque chose de méritoire existait à l’origine de mes volontés et dans mes intentions, qui s’est peut-être voilé durant l’exécution, parce que je devrais me soumettre aux moyens. Cette vertu première redeviendrait sensible, une fois mon projet réalisé, mes aspirations satisfaites et ma statue sculptée. Ainsi le succès seul peut aujourd’hui contenir cette vertu civique que mes amis eux-mêmes me dénient. Je dois m’obstiner au succès.
1. Je souffre de l’affront que m’a fait mon parti ; si je pense au succès de Suret-Lefort qu’applaudit à cette heure la Chambre, je ressens les tortures d’un amant qui sait qu’à cette minute sa maîtresse caresse son rival. D’ailleurs, je comprends qu’ils me rejettent s’ils peuvent me rejeter. Je dois m’obstiner à leur être indispensable.
2. C’est bien d’avoir voulu exciter et coordonner les mou- 2. Je n’ai pas eu tort de demander un journal et des fonds