Page:Barrès – Leurs Figures.djvu/368

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
364
LEURS FIGURES

compagnons de sa vingtième année jouissaient de leur épanouissement, alla se promener à Versailles.

Sturel entra dans la plaine Saint-Antoine, vers une heure de l’après-midi, par le boulevard de la Reine. Le soleil d’extrême saison, ce pâle et froid soleil qu’enfant il avait aimé sur les vignes de Lorraine, couvrait de grands espaces de verdure, et des vaches éclatantes paissaient dans un long cirque de peupliers, d’ombre profonde et d’humidité. Sur sa gauche, où régnait le Parc, Sturel ne voyait rien qu’à travers des rideaux miroitants ; la nature effeuillée sauvait encore le mystère des bosquets, et parce qu’il rapportait tout à ses déceptions, il évoqua la femme peinte au Campo-Santo de Pise qui voile sa figure et regarde entre ses doigts : il lui donna les formes de Thérèse de Nelles. Sa honte d’un nouvel amour ne la rendait que plus touchante. En vain les premières gelées brûlèrent ces beaux arbres à demi dépouillés : un froid soleil, souvenir lointain des ardeurs de l’été, donne de l’âme à leurs branchages, les enrichit de tous les ors, et quand un souffle détache une nouvelle volée de feuilles, c’est l’immorale pluie au sein de Danaé.

Ces milliers d’arbres vigoureux qui dessinent une magnificence abondante et légère comme un tissu brodé de l’Inde, auraient pu reprocher à Sturel son anarchie intérieure ; il ne perçut d’abord sous leurs cimes que du silence, de la douceur, une crainte flottante. Sublime monument, ces