Page:Barrès – Leurs Figures.djvu/336

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
332
LEURS FIGURES

Les Nelles avaient deux intimes à dîner. On fit entrer Rœmerspacher qu’on traitait en familier. Il dit avec négligence que Sturel allait publier la liste d’Arton, qu’il comptait sur des poursuites et qu’il ferait entendre des témoins. Le baron se leva précipitamment pour caresser au gosier son chat qui venait de tousser.

Rœmerspacher pendant la fumerie resta seul avec Mme  de Nelles.

Désorientée par l’activité et les distractions d’un jeune homme que la curiosité, l’héroïsme et la mobilité nerveuse attiraient toujours au dehors, Mme  de Nelles avait mal étalé devant Sturel son tendre génie de femme. Le grand art d’embellir de douceur l’amour, de l’exprimer dans chacun de ses gestes pour ouater la vie et pour lui donner un sens, elle l’avait imparfaitement déployé avec ce jeune aventureux, à qui elle apportait tantôt des rudesses d’amoureuse jalouse, tantôt des effusions désespérées. Mais, sûre d’elle-même avec Rœmerspacher, elle laissa épanouir ses instincts profonds ; elle épura son esprit et ses mœurs de la mauvaise éducation qu’elle devait au divorce de sa mère, à quelques années de cosmopolitisme et que Sturel avait favorisée. Sous cette nouvelle influence, elle oublia les Carlsbad pleins de tziganes, le snobisme à la Nelles, et même ses plaintes voluptueuses de colombe poignardée dans Saint-James. Elle eût voulu voir avec