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LEURS FIGURES

— Moi aussi, je suis une victime du Panama, conclut le spirituel Fanfournot ; nous en avions des titres : du vent ! Ça se passe aux camarades qui voyagent pour qu’ils puissent faire de l’escroquerie chez les aubergistes !

La continuité avec laquelle Sturel tenait ses yeux fixés sur les escrocs du Parlement le préparait à se moins choquer des cambrioleurs. Fanfournot se couvrait des mêmes prétextes que les chéquards :

— On ne vole pas, disait-il, pour se donner des jouissances, il s’agit de constituer un fonds de cinq cent mille francs et de créer un journal anarchiste. Une grosse somme ? Mais chez le compagnon Pini, en 1889, on a trouvé pour un million de titres volés. On louerait un pavillon, avec, dans le sous-sol, une imprimerie clandestine — et un laboratoire.

Le vent qui courait sur la neige était glacial. Les deux mécontents se réfugièrent au buffet de la gare. Fanfournot commanda des absinthes et continua ses récits. Sturel l’écoutait peu et le regardait beaucoup. Devait-il à l’alcool ou rien qu’au plus sot orgueil cette raideur bizarre de tout le corps ? Quoique la misère fît la bouche flottante et que la mâchoire eût la force d’une gueule de chien, il y avait dans cet être légèrement éraillé une grâce de jeune tyran, un mélange de bestialité et de lyrisme.