Page:Barrès – Leurs Figures.djvu/228

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
224
LEURS FIGURES

— Moi aussi, dit Sturel, à la Chambre et dans la presse, je connais des « terreurs ».

— Peuh ! dit Fanfournot, si vous mettiez votre Constans, votre Clemenceau ou votre Rouvier, seuls à seuls, loyalement, en face des amis que je vous présenterai, elles n’en mèneraient pas large, vos « terreurs » !

Ses déceptions dans les intrigues de la politique où il poursuivait le bien public avaient préparé ce nerveux Sturel à ressentir une gaieté cruelle chaque fois qu’il rencontrait une expression particulièrement vile de ce « chacun pour soi » qui, du haut en bas, fait la loi : l’image d’une ignoble lutte à main plate entre les Rouvier, les Baïhaut, les Clemenceau, les Hébrard, et leurs dignes frères de « la Grande Maub’ » contentait son besoin de mépriser. Quant aux misères de Fanfournot, il leur opposait une brutale insensibilité d’homme que ses passions accaparent. Volontiers, il eût dit à ce malheureux le mot magnifique du maréchal Ney en Russie dépassant un vieux brave qui le suppliait de le faire ramasser : « Eh ! mon ami, vous êtes une victime de la guerre. »

Sans la Léontine, Fanfournot fût mort de faim et de froid. Quand son ami, le mécanicien anarchiste, sortit de prison, tous trois se retrouvèrent. Le mécanicien, fort habile dans son métier, ne manquait jamais d’argent ; sous prétexte de par-