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JOURNÉE D’AGONIE DE REINACH

« en tout cas, ma conscience me dit que c’était humain, j’ai répondu : — Je suis prêt à faire la démarche que vous me demandez, si grave qu’elle puisse paraître, mais j’y mets une condition, c’est que nous ne serons pas seuls ; je veux qu’il y ait un témoin dans cet entretien. — Le nom de M. Clemenceau a été prononcé et j’ai dit : — Je ne connais pas de meilleur témoin. »

Des mots, des histoires ! N’attribuons aucune autorité à cette déposition d’un homme qui plaide pour son propre salut ; prenons-y seulement le décor des premières intrigues de cette interminable journée.

De grand matin, là-bas dans ce morne Saint-James, dans une villa qui regarde à travers un parc effeuillé les berges désertes et les brouillards de Puteaux, Reinach et Rouvier, tous deux congestionnés, mais l’un abattu dans sa graisse jaunâtre, l’autre musclé et défiant le destin, se concertent sur les moyens d’éviter la correctionnelle. Ils décident de s’adjoindre Clemenceau. Nous allons suivre ce trio. Une tragédie dans le brouillard. Des ombres qui s’agitent et puis le bruit d’un corps qui tombe.

Quand, vingt-quatre jours après le drame, les circonstances forcèrent les deux survivants à parler devant la Chambre et devant la Commission d’enquête, leurs récits ne concordèrent pas ; mais