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L’APPEL AU SOLDAT

ils discutent sur le coût de l’affaire et vont jusqu’à l’évaluer à deux milliards. Si pessimiste que soit ce chiffre de deux milliards, regardons-le en face, et posons-nous cette simple question : S’il était sûr, d’une part, que le Canal coûtera deux milliards, et, d’autre part, que ces deux milliards rapporteront 6 p. 100 au début, faudrait-il encore le traiter de mauvaise affaire ? Si même le produit devait rester, pour les premières années, de 4 p. 100, serait-il sage et honnête d’en détourner l’épargne ? »

Ce chiffre de deux milliards le ramène à son problème propre : le public ne consentira de tels sacrifices que sur l’appât d’une loterie. Ce gouvernement de lâches s’entêtera-t-il à en refuser l’autorisation ?

Cet homme de trente-six ans, heureux jusqu’alors, sourit avec mépris à l’idée qu’il échouerait sur un terrain de sa compétence, tel que le Palais-Bourbon. Et seul dans son cabinet, en attendant que le ministère de l’Intérieur lui communique des nouvelles sur le voyage de Boulanger, il relit, pour en faire un pointage minutieux, la liste des députés… Puis, assuré qu’on peut créer une majorité à la Compagnie, il se prête, pour se délasser, aux grandes idées que lui ont communiquées les Reinach, les Fontanes, les Lesseps : les Lessepsistes.

Elles le passionnent et le font poète. Il voit le moyen de s’assurer le concours permanent du public, des banquiers, de la presse, en France et dans le monde entier, en leur promettant, avec l’achèvement et l’exploitation de Suez et de Panama, tout un plan immense d’affaires… On pourrait choisir par région un certain nombre de projets honnêtes, bien faits pour passionner ; par exemple, le projet Hersent