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L’APPEL AU SOLDAT

tiques, et dans la fréquentation des chefs de service ; il voyait bien que dans un pays où, d’une part, tout le monde rêve d’être fonctionnaire, où, d’autre part, l’argent se substitue aux disciplines morales pour devenir le régulateur des mœurs, de grands entrepreneurs qui peuvent donner des places de quatre mille francs au prolétariat des bacheliers et d’immenses bénéfices aux banquiers et à la presse, offrent un point d’appui au gouvernement. Aussi le même attrait qu’il avait éprouvé pour Gambetta dominateur des foules, à l’orient de sa vie publique, il l’éprouvait, aujourd’hui qu’il étudiait les budgets, pour le Grand Français qui commandait à l’argent et savait par sa force de persuasion obtenir des sommes comparables à un budget d’État.

Ses convictions ainsi établies sur des motifs généraux se doublaient de son intérêt. Pour qu’il les servît et pour lui rendre service, les Lesseps avaient organisé à Bouteiller un journal. Le jeune député estimait en théorie qu’un politique s’affaiblit en écrivant, parce qu’il se trouve entraîné à prendre sur trop de points des positions trop nettes. Mais, si modestes que fussent ses habitudes, il ne se suffisait pas, avec 9,000 francs d’indemnité législative. Un élu, en effet, demeure encore un candidat, et s’il avait supprimé, contre le gré de ses amis électoraux, le Patriote mussipontain, organe républicain de Pont-à-Mousson et de la Seille, il n’avait pu leur refuser de s’intéresser pour de petites sommes dans les deux grandes feuilles républicaines du département : les réunions d’actionnaires fournissent l’occasion de rencontrer l’élite agissante du parti. En octobre 1886, après une année de députation, il avait