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L’APPEL AU SOLDAT

célèbre société du canal interocéanique, le député de Nancy en prenait fort à cœur les intérêts. Or, ce même jour, 8 juillet, où le général Boulanger s’embarque pour Clermont, M. Ferdinand de Lesseps demande à la réunion de ses actionnaires l’autorisation d’émettre un septième emprunt. — Son génie de convaincre persuadera cet état-major ; il trouvera 200 millions nouveaux (obligations rapportant 30 francs, offertes à 440 remboursables à 1,000) dans ce public de qui il a déjà obtenu 884,522,591 fr. ; mais ce qui préoccupe Bouteiller dans cette minute et depuis deux ans, c’est que toutes ces victoires partielles du Grand Français demeureront vaines sans une conquête décisive de l’argent, que seule peut permettre une émission de valeurs à lots. Pour cette forme d’emprunt, il faut une loi. Comment la faire voter ? Voilà sur quoi, tout en marchant, il médite.

Son affaire, ce n’est point le problème technique de l’ingénieur, ni même, à proprement dire, le problème financier : il a assumé de résoudre les difficultés parlementaires.

On doit marquer fortement, sous peine de ne rien comprendre à la psychologie d’un Bouteiller, qu’à cette époque, pour son développement intérieur, il a besoin des Lesseps. Ce philosophe surnourri de livres, lassé de la timidité de son monde universitaire, avait exactement ce qu’il faut d’avidité et de naïveté intellectuelles pour se gorger des projets positifs qui flottaient dans le monde de ceux qui s’intitulaient eux-mêmes les « Lessepsistes ». Que le salon du baron de Reinach rassemble les hommes principaux du parti républicain ; que le