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AUTOUR DE LA GARE DE LYON

nommant, a pu forcer ce blocus et se glisse par la portière qu’on entr’ouvre, la masse, aveuglément, s’écrase, pour saisir l’objet de son amour, le rapporter dans Paris. « Le voilà, le grand ami du peuple, et il détruira les ennemis du peuple ! » L’imagination populaire simplifie les conditions du monde réel : elle suppose que, pour faire son bonheur, il suffit d’un homme de bonne volonté. « Ne sommes-nous pas le nombre ? Affirmons par la violence et la multiplicité de nos acclamations qu’en lui seul est notre confiance ! » Formidable sérénade d’une foule, à la fenêtre d’un wagon, pour un général dont elle aime si fort le caractère français qu’elle le voudrait Espagnol…

Mais quel est celui-là, très grand, décoré, qui se penche par la portière ? Les ligueurs épars l’acclament, le nomment à leurs voisins un peu défiants, qui disent : — Ce grand-là, que veut-il ? — C’est Paul Déroulède, son meilleur ami ! — Silence ! plus haut ! — Il annonce qu’au nom de la Ligue il a remis au Général deux grandes médailles ayant à la face l’une le portrait de Chanzy, l’autre le portrait de Gambetta ; — Gambetta ! Chanzy ! ses modèles ! — Bravo ! Vive Boulanger !

Dans cette crise d’idéalisme, Renaudin s’est glissé jusqu’au wagon et demande à Laguerre la consigne :

— L’Élysée ou Clermont ?

— Le Général partira.

Sur L’autre marchepied, un employé supérieur de la gare :

— Mon Général, si vous voulez sortir dans la cour, je puis faire un chemin.

Il s’irrite :

— Je veux partir, coûte que coûte.