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L’APPEL AU SOLDAT

fut de la première vague, qui se heurta contre les portes de la gare, rapidement refermées sur le précieux voyageur. Sous le choc, elles ne servirent qu’à marquer un temps : une seconde poussée les brisa et la nappe humaine, en deux secondes, s’épandit sur les vastes quais intérieurs.

Boulanger, essoufflé, mais qui, dans cet abri, commençait de reconnaître les cinquante radicaux venus pour le mettre en wagon, parut alors, plutôt qu’un triomphateur, un gibier que rejoint la meute. Ignorant les détours de la gare et l’emplacement du train de Clermont, il resta un instant à tournoyer sur lui-même. À chaque seconde, des centaines d’enthousiastes étaient projetés avec force des étroits boyaux où ils se déchiraient en passant, et, comme un étang rompu, le boulevard se vidait dans la gare de Lyon. Les voyageurs, les brouettes de bagages, les trains en partance, tout, comme de bas récifs quand monte la marée, fut enveloppé, recouvert. Les employés de la gare le guidaient en courant sur la voie, entre les trains. La foule le dépiste ; elle le poursuit, le devance, le cerne. Tous chemins barrés, il se réfugie au hasard dans un compartiment de troisième classe, dont le jeune député Georges Laguerre s’épuise à maintenir des deux mains la portière, jusqu’à ce que des agents le viennent suppléer en chassant du marchepied les trop zélés partisans. Alors la foule, son siège installé, entonne : Il reviendra quand le tambour battra… puis : C’est Boulange ! Boulange ! Boulange ! Cest Boulanger qu’il nous faut… et souvent elle s’interrompt pour jurer à grands cris qu’« il ne partira pas ! »

Chaque fois qu’un Andrieux, un Déroulède, en se