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AUTOUR DE LA GARE DE LYON

d’associer les idées, ce qui permet dans la conversation de sauter trois ou quatre idées intermédiaires. Avec les étrangers les plus intelligents on n’a jamais ce plaisir-là.

— Boulanger, — disait Rœmerspacher, tout plein de sa notion allemande du devenir, — je vois très bien ce que c’est. L’homme de qui la foule française s’est éprise à toutes les époques est fait sur un certain type théâtral, odéonesque : François Ier, Henri IV, La Fayette, tels qu’ils se montrent en public, et, tout au bas, le petit marquis, le maréchal des logis et le commis voyageur. Le héros ingénieux plutôt que la brute, mais avec une légère vulgarité, car nous ne sommes pas un peuple poète, voilà celui qui prévaut dans les salons et les grands cercles, dans les cabarets d’ouvriers ou sur un marché de paysans. L’opinion héréditaire que la France a d’elle-même, le schéma qu’elle trace de son histoire, c’est que l’Europe la craint, ou plus exactement l’admire et l’aime. Et, chez ce peuple de glorieux, il y a un désintéressement tel que nous permettons de nous opprimer à qui nous donne de la gloire. Enfin, dans l’esprit de notre nation, un certain nombre de principes tendent à épuiser leurs conséquences, et, d’abord, le sentiment de l’égalité. Au total, il faut comprendre Boulanger dans l’imagination populaire comme optimiste et vulgaire ; comme un soldat brave et galant, qui nous rend du prestige à l’étranger, un général Revanche ; et, en même temps, comme un serviteur des ambitions et des jalousies démocratiques. Ces personnages que, de temps à autre, au cours de l’histoire, le milieu met en valeur, ne sont qu’un instant du devenir de la