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popularité une dernière fois entraîne celui qui fut trente-trois ans un fonctionnaire, trois ans un agitateur, puis une année un mélancolique.

Après cinq kilomètres de faubourgs et de la plus sale campagne, ce cortège précipité, où tous les rangs se talonnaient, distingua les tombes d’Ixelles. Un long troupeau fou gravit alors les talus de la route et, à travers les champs boueux, entreprit de dépasser le corbillard, pour s’assurer les premières places près de la fosse. Course immense de curieux et de fanatiques ! Il fallut mettre au galop les chevaux funéraires, et ce steeple entre la foule et le mort dansant, qui couvrait de ses fleurs le chemin défoncé, aboutit aux grilles dans une épouvantable bataille, car, le cadavre sitôt entré avec sa cavalerie, les agents selon leur consigne poussèrent les portes de fer sur cent vingt mille hommes, dit-on, qui s’entêtaient quand même, ne pouvaient reculer. Beaucoup furent demi-étouffés. Leurs appels glaçaient. D’un agent notamment qui se cassa le bras, le rugissement domina tout. Par-dessus les murs on jetait les couronnes. Dans l’enceinte, tous étaient blêmes de ce terme de leurs espérances et de cette bagarre impie.

Tandis qu’on ramasse les blessés, la cérémonie se hâte. Déroulède, et voilà bien ses gestes, jette au cercueil une poignée de la terre française. « Le drapeau ! le drapeau ! » crie-t-on. Dans cette hâte, on avait oublié de le descendre. C’est que les milliers d’hommes un instant maintenus au dehors escaladent le cimetière. En un clin d’œil, des fleurs, des couronnes qui ornaient toutes ces tombes, rien ne reste qu’un piétinement. La Fortune, qui