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paux, non d’une cohue sans discipline, fût-elle la plus émouvante.

Le cabinet du Général était clos. Dans le bureau du secrétaire, M. de Vogelsang, son neveu et le seul membre présent de la famille, se tenait avec MM. Rochefort et Déroulède, les élus, les notables du parti. Au milieu d’eux, Sturel lui-même sentit se glacer son âme, parce qu’on voyait trop bien que la décision romanesque du Général avait tout délié. Les deux amis essayèrent en vain de regagner la rue. La force publique d’Ixelles avait été débordée. Le corbillard stationnait devant la porte, sans qu’on pût y porter le cadavre, car la foule, du plus loin, venait s’écraser contre la maison. Il fallut même barricader les portes à l’intérieur, tandis qu’on requérait la gendarmerie à cheval.

Là-bas, là-bas, tant que l’œil pouvait se porter, les balcons regorgeaient d’invités. Ses traditions et ses intérêts ne préparaient pas le public belge à sentir ce deuil. Ne voyant ni le cercueil qu’on n’osait pas sortir, ni l’appareil religieux qu’on avait refusé au suicidé, il se démenait de la façon scandaleuse qu’a peinte tant de fois Téniers.

On s’interpelle, on acclame, on hue les arrestations. La police impuissante fait sommation de lui prêter main-forte aux soldats disséminés en curieux dans la foule. Un adjoint reçoit un coup fâcheux dans le ventre. Des pancartes circulent annonçant une fête vélocipédique. Des camelots crient des biographies illustrées, on détaille à voix haute le drame, on cite les boulangistes présents, on commente des absences, et des doigts tendus montrent, au deuxième étage de l’hôtel, une fenêtre derrière laquelle la vieille mère