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L’APPEL AU SOLDAT

laissa la bande des journalistes développer que le lâche s’était tué parce qu’on pouvait prouver ses escroqueries envers Mme de Bonnemains. C’était une campagne qu’ils amorçaient depuis une semaine. Toujours affamé de considération, Constans voulait en user avec le mort de telle sorte que ses adversaires rendissent hommage à sa correction. Mais Bouteiller suspecta ce modérantisme et commença de louer le journal de M. Ferry, l’Estafette, dont cette tragédie surexcitait la verve. Puis, sur son invitation, un attaché lut à haute voix un passage de la Lanterne : « Cette mort pose un problème pénible dont l’inévitable éclaircissement enlèvera peut-être encore à la mémoire de Boulanger le peu de romanesque et d’intéressant qu’elle pouvait avoir. Quand l’argent ne vint plus, la bataille boulangiste fut perdue. Nous avons bien peur, hélas ! que, pour la seconde fois, la même cause produise les mêmes résultats et que la mort de M. Boulanger ne soit même pas une catastrophe d’amour, mais tout simplement une liquidation de faillite pour cause d’insuffisance d’actif. »

Le ministre et son entourage s’égayèrent de tels arguments dans la bouche de cet Eugène Mayer, qui fut ardemment boulangiste jusqu’au jour où la Compagnie de Panama, pressée par Floquet, comme un citron sur une huître, lui redonna le ton parlementaire. Et sans plus insister, ils se répétaient :

— Il est vraiment très fort, ce sale juif !

Mais Bouteiller n’aime pas les plaisanteries à tendances cyniques, qu’il juge démoralisantes, et c’est comme un document véridique qu’il veut entendre la Lanterne.

— Si l’on a des preuves ou des présomptions