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L’ÉPUISEMENT NERVEUX CHEZ LE GÉNÉRAL

— Mais suis-je encore un soldat ?

Mot sublime et qui découvrit à Sturel L’innocence d’un véritable héros.

Le jeune homme retint ses larmes, ce qui lui donna la physionomie d’un grognard de Raffet, droit au port d’armes devant son Empereur.

Ces deux hommes, Boulanger et Sturel, dignes d’un grand emploi, prenaient les proportions de leur misérable époque.

« Suis-je encore un soldat ? Cette douloureuse interrogation, ce doute sur soi-même, voilà la destruction suprême. De tant de diminutions, aucune jusqu’alors n’était mortelle : aussi bien toutes ses autres qualités de républicain, d’antiparlementaire, de faiseur de constitution, lui venaient des circonstances ; en les lui contestant, on n’atteignait pas sa source de vie. Du jour qu’il doute de sa qualité essentielle et ne se croit plus un soldat, il meurt, est déjà mort.

Qu’un homme a peu de résistance ! Boulanger, extraordinaire force de sentiment, se chargeai d’énergie au contact de l’armée et de la démocratie ; il vivait de nos grandes passions nationales pour la gloire, pour l’égalité et pour l’autorité, du boulangisme enfin. Il tombe sur les genoux quand se dispersent les foules desquelles il participait, et à terre quand une femme lui manque qui lui donnait la confiance et le désir de plaire.

Depuis la mort de Mme de Bonnemains, Mlle Griffith, cousine du Général, tenait sa maison. De chers amis, M. et Mme Dutens, séjournaient rue Montoyer. Sturel apprit qu’au moindre bruit, dans cette maison tragique, tous croyaient entendre la détonation d’une