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L’APPEL AU SOLDAT

les ambitieux souvent glissent à l’ivrognerie. Après le désastre législatif de septembre 1889, Boulanger, avide d’oublier, prit de l’opium. Mais c’était un être très sain, un cœur honnête en même temps qu’un tempérament vigoureux : à cinquante-deux ans, il demanda un alibi contre la vie à l’amour. Le charme romantique de la Dame aux camélias comporte une rude explication : la tuberculine renferme, entre autres poisons, une des substances aphrodisiaques les plus puissantes qu’on connaisse.

Sturel fixait peu son esprit sur la maladie de Mme de Bonnemains. Il entra dans la maison de Bruxelles, non pas avec les précautions qu’il faut chez les moribondes, mais solidement et ramassant ses forces pour faire surgir celles du Général. Incapable de sortir des idées qu’éveille en lui le nom de Boulanger, il méconnaît dans ce petit hôtel tout envahi par l’odeur de la phtisie une incomparable valeur tragique. Il y trouve seulement ce qu’ont ressenti les Déroulède, les Laguerre, les Renaudin, et qu’ils traduisirent tous selon leur tempérament : l’irritation de ne pouvoir pas faire galoper la jument qui est morte.

Tandis que Déroulède dit : « Eh bien ! je m’attellerai à cette tâche ; » Laguerre : « C’est une partie perdue, cherchons ailleurs ; » Renaudin : « Pourrai-je du moins vendre sa peau ? » Sturel, les yeux obstinément fermés, se répète : « Ce sera beau si, lui et moi, nous piétinons enfin les parlementaires. »

Boulanger l’approuve en principe, l’encourage à se documenter et laisse entrevoir qu’il pourra disposer de quelque argent pour l’achat des preuves.