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L’ÉPUISEMENT NERVEUX CHEZ LE GÉNÉRAL

suprêmes ressources de son énergie et de son bel optimisme. Dépouillé de ses dignités, de ses emplois, de tout le butin de sa vie, il redevenait le sous-lieutenant, l’homme de vingt-deux ans, passionné et naïf ; il embrassait d’un geste violent une petite photographie de Mme  de Bonnemains fixée dans son bouton de manchette : « Toi me trahir ! quel misérable suis-je donc pour accueillir cette infâme supposition ! »

Quand il rejoignait la voiture et que la silhouette de cette mourante apparaissait à la portière, il avait hâte de serrer dans ses bras, de réchauffer cette femme glacée par le couchant, sans dégoût, sans connaissance même de la maladie, car c’était le seul regard où pour lui maintenant la sympathie parlât, le seul cœur où il pût crier et trouver un écho.

— Oh ! mon Georges, disait-elle de sa voix singulière, qui seule dans sa personne n’avait guère changé, je crois que bientôt nous allons être séparés.

— Me séparer de toi ! Jamais ! Si tu pars la première, tu sais bien qu’aussitôt je te rejoindrai. Mais que de belles années nous avons à vivre, quand tu seras guérie !

Des beautés disparues pour tous empêchaient cet amant de distinguer le mal dont les moins perspicaces lisaient l’échéance prochaine dans ces yeux caves, dans cette face livide et décharnée, dans ces lèvres plus minces qu’un fil, dans tous ces frissons douloureux. Marguerite de Bonnemains possédait Boulanger par des philtres inexplicables pour qui ignore l’ascendant des amantes tuberculeuses, classique en médecine. Dans leurs grandes déceptions,