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« LAISSEZ BÊLER LE MOUTON »

Voilà pourquoi je ne désespérerai jamais. Je voulais arracher mon pays au régime d’abaissement et de honte qui le tue, pour lui donner un gouvernement honnête et respecté. Je n’ai pas réussi. Je serai plus heureux dans la suite, quand un événement imprévu me permettra de recommencer la lutte dans de meilleures conditions. Je ne me reproche rien, j’ai fait mon devoir, tout mon devoir.

Le journaliste-député écrivit sans sourciller, puis assujettissant son monocle et avec un sourire, il regarda Boulanger bien en face :

— C’était bien imprudent cette idée du commandant Solar d’aller visiter le prince Jérôme.

Boulanger ne broncha pas. Alors, par allusion à une phrase du prince Napoléon, Renaudin ajouta :

— Enfin, j’espère encore que vous la gagnerez, cette épée.

Boulanger fit tourner sa chaise entre ses jambes et dit :

— Avouez que c’était crâne.

— Espérons que Mermeix l’ignore, cette crànerie.

Boulanger pressentit le chantage et laissa venir. L’autre, après un silence, continua :

— Mon Général, dès maintenant, plus une minute à perdre. Il faut vigoureusement vous défendre. Grâce à Dieu ! nous sommes là. Un Mermeix ne nous intimide pas. Mais à vos amis autant qu’à votre intérêt propre, vous devez une explication publique.

— Citez-moi un seul d’entre vous, répliqua avec vivacité le Général, à qui le boulangisme n’a point profité ! C’est moi qui ai tout perdu dans la lutte : grades, honneurs, le fruit de trente années, et,