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LE BOULANGISME ET STUREL SE RESSERRENT

— Mon pauvre Sturel, il est impossible de ne pas t’aimer, parce que tout cela est bien désintéressé, mais il faut toujours que tu sortes de l’ordre.

Voilà bien ce qu’a toujours senti Mme  de Nelles. Sturel se tient constamment en dehors des régularités, tandis qu’elle-même, jeune fille excentrique, puis jeune femme délaissée, rêva toujours, fût-ce à son insu, une existence où tout aurait été idéal et pourtant réel, comme les mouvements des jeunes animaux, le lys parmi les fleurs et, dans le ciel, le mystère de la lune. Ce soir, elle envie Saint-Phlin et sa femme qui vantent leur paix à la campagne ; elle regarde la quiétude que Rœmerspacher s’assure dans sa propre supériorité, et, appuyant son visage contre sa main parfumée, elle se juge du fond d’un fauteuil la plus malheureuse des femmes, car Sturel, quand il a devant lui des années parfaites avec la plus délicate des maîtresses et dans un bon siège au Parlement, projette, elle le voit bien, de tout quitter pour habiter Jersey et pour s’enfoncer dans une aventure.

L’aime-t-elle encore ? lui fait-il enfin horreur ? Définir avec précision sa pensée, ce serait la trahir. Elle regrette ce qu’ils auraient pu avoir de bonheur.

À certains instant, Sturel partage cette mélancolie ; pas assez pour prendre les moyens de l’apaiser. C’est au net un débauché. Même s’il souffre à l’idée de perdre Mme  de Nelles, il ne peut en elle absorber sa vie. Ne tolérant pas qu’elle lui refuse rien, il ne sait pourtant pas se réjouir deux secondes de l’extrême complaisance qu’elle lui témoigne. Et dans la minute où, agenouillé contre les genoux de cette belle maîtresse, il la remercie tendrement, son ima-