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L’APPEL AU SOLDAT

Dans le break où Boulanger les fait monter, rien ne trahit d’abord leurs âpres pensées ; il parle avec satisfaction de sa villa qu’il habite justement de la veille. Il l’a louée pour l’année.

— Pour l’année ! s’écrie Déroulède.

— Alors, n’ai-je plus le droit de loger où je veux ?

Le bouillant patriote s’élance :

— Mon Général, nous venons vous arracher à un exil inutile et même compromettant.

On s’interpose ; pas en voiture !

La claire maison apparaît, charmante sous le printemps. Le Général, qui tient à prolonger les préliminaires, montre le jardin ; et toutes ces plaisances irritent, comme les signes d’un cœur distrait, ces conjurés impatients. Mme  de Bonnemains, le visage amaigri, les lèvres blanches et des cercles bleuâtres autour des yeux, les accompagne un instant. Elle compte bien que les voyageurs dîneront à Sainte-Brelade ; ils acceptent. On s’attarde. On entre enfin au cabinet du Général.

Naquet, Laguerre, Laisant, Le Hérissé, chacun avec sa manière, plaident la thèse du retour, à laquelle Boulanger, pendant deux heures, oppose des refus obstinés et brefs, jusqu’à se retirer enfin derrière cette phrase d’un accent dur, où tressaille sa colère :

— Dieu lui-même, vous m’entendez, messieurs, viendrait me chercher que je ne rentrerais pas.

Alors, transfiguré par l’émotion, et de sa voix rapide, Déroulède, debout, et qui parfois se courbe sur le dossier d’un siège pour jeter de plus près sa flamme au Général, reprend et charge d’optimisme tous les arguments déjà accumulés, jusqu’à ce que,