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LA PREMIÈRE RÉNION DE JERSEY

ces êtres, issus de toutes les provinces, ne se disent pas, ce qui serait pourtant intéressant, la façon dont chaque région se représente le boulangisme, mais ils racontent les meilleures histoires de terroir, de bien bonnes histoires, grasses et vulgaires, comme en savent les représentants de commerce. Sturel, un peu dégoûté, ferme les yeux, s’écarte d’imagination, et pourtant ce n’est pas Thérèse de Nelles qu’il évoque, mais Mme  de Bonnemains et Boulanger avec qui il voudrait vivre.

À six heures du matin, on atterrit. Beaucoup n’ont jamais vu le Général. S’ils quittent avec une telle précipitation le bateau, c’est moins à cause du mal de mer que pour connaître plus vite celui qu’ils firent tant de fois acclamer, au nom de qui ils reçurent et distribuèrent tant d’insultes. Quelle bousculade sur la passerelle ! Presque le piétinement des forts sur les faibles, comme dans une cohue d’inconnus. En vérité, c’est bien Boulanger tout seul qui met quelque discipline et quelque amitié entre ces rudes lutteurs, puisque Déroulède ne se prive pas d’un mot cruel qui les amuse tous, criant à l’un de ses compagnons, le plus victime par la basse presse parlementaire :

— Du calme, Vergoin ! ou l’on va vous rejeter à la mer.

Quand ils apparaissent, ces Français, les plus aimés et les plus exécrés de France, personne ne les montre. Sur cette terre étrangère, ils n’occupent que l’hôtelier de la Pomme d’Or, qui compte « un, deux, trois… vingt-neuf touristes » ! Quelle fortune, dans la morte-saison.

Ce qu’aura de plus hautement caractéristique ce voyage se révèle à l’observateur dans cette demi--