Page:Barrès – L’Appel au Soldat.djvu/456

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
450
L’APPEL AU SOLDAT

la Seine. Celui-ci flottera sur l’histoire pendant quelques années ; même il pourrait la commander. C’est ce qu’espèrent encore la plupart de ces fidèles qui voguent vers Jersey, sans quoi ils ne se feraient pas secouer par cette mer écœurante et, d’une façon plus générale, par la presse, par la magistrature et par toute l’administration de Constans. Mais il y a un second sens. « C’est un bateau » se dit encore pour signifier un batelage, une chose d’escamoteur. L’énervant de cette grande situation qui n’aboutit pas pourrait amener beaucoup des plus fervents à qualifier ainsi le boulangisme ; et, même dans le Comité national, cette acception paraît s’accréditer ; seulement on restreint sa portée, en déclarant que le « bateleur », l’escamoteur, c’est le comte Dillon. Boulanger ne veut plus le connaître ; puisqu’on écarte cette mauvaise influence, tout va se dérouler pour le mieux.

Cette certitude a fait le thème des boulangistes depuis Paris, d’abord dans le wagon-salon offert par la Compagnie de l’Ouest, puis à l’hôtel de Granville, où ils attendirent le milieu de la nuit pour s’embarquer, et enfin sur la Manche, quand le roulis ne les rappelait pas à de plus humbles soucis. Ils ignorent comment ils organiseront le succès, mais précisément c’est ce qu’ils décideront à Jersey, et ils ne doutent pas d’eux-mêmes. Ne viennent-ils pas de se témoigner par leur réussite électorale ? Ah ! ils méritent bien cette belle excursion de vacances ! C’est affaire aux Naquet, aux Laguerre, aux Déroulède, de former à l’écart un petit conseil de guerre. Le reste, une joyeuse chambrée de soldats. Dans cette nuit qui les rassemble pour la première fois,