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LA PREMIÈ RÉNION DE JERSEY

coups les plus dangereux en échange des faveurs dont ils avaient été comblés. On peut excuser jusqu’à un certain point des jeunes gens, des novices, qui ont eu le malheur, je dis le malheur — et votre présence ici n’autorise-t-elle pas à vos yeux mon appréciation ? — d’entrer dans la vie publique par cette porte du révisionnisme.

Renaudin se froissa surtout qu’on le dit « un novice », quand les cafés politiques savaient que, durant dix années, il avait rendu à divers ministres des services dont ceux-ci reconnaissaient le prix, non point en compliments, mais sur leurs fonds de cabinet. C’est par de telles vanités qu’un jeune homme toujours demeure un agent. Il pesa le poids lourd des opinions vaincues, et, assujettissant son monocle, il commença d’ânonner. Sa phrase s’en allait en boitant, comme le galérien classique s’avance avec des yeux vacillants et une jambe qui tire son boulet :

— La majorité, indiscutable, très honorable,… quel avantage voit-elle à m’invalider ? Je serais réélu. Si mon siège m’échappait, — c’est une hypothèse absurde — il passerait à un droitier, fort intelligent, capable de créer au ministère plus d’ennuis que moi, maintenant, je ne voudrais vous en causer.

Constans écarta la scène de cynisme où cet insulteur qui venait à merci se proposait de briller ; il se tint en homme politique que mène le seul souci de l’intérêt général. Renaudin dut cesser des sourires qui manquaient de sens ; il aborda ce qu’il croyait l’essentiel : il offrit de ne pas aller à Jersey. Quelle inintelligence de la situation ! Constans désirait adoucir les hostilités personnelles, mais l’existence