Page:Barrès – L’Appel au Soldat.djvu/45

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
39
LA FIÈVRE EST EN FRANCE

du seizième siècle, nous le récitâmes à haute voix. Nous jouions au naturel la scène « la Taverne d’Auerbach, à Leipzig », quand de joyeux étudiants philosophent et chantent, le verre en main. Mes compagnons affirmèrent que l’Allemagne représente l’Esprit universel, l’Idée absolue et la Puissance absolue, et revenant à plusieurs reprises sur des détails de leur pensée, ils s’exprimèrent de façon a me bien convaincre de leur opinion sur la France. Ils tiennent notre décadence pour un fait, car l’instinct d’expansion et la force d’absorption allemands se sont montrés supérieurs en 1870. Convaincus qu’un homme formé aux méthodes scientifiques ne peut pas s’offenser d’une constatation et qu’en m’indignant je serais aussi fol qu’un vieillard qui veut nier son âge, ils célébraient le Pangermanisme.

« Il ne m’appartenait pas d’interrompre dans un lieu classique de la pensée allemande leur délire patriotique, mais je dus les quitter. Les turbulents convives dont parle Méphistophélès n’étaient pas sur la bruyère, mai» autour de la table. Je remontai dans ma chambre. Elle était froide, en dépit du feu que j’allumai. Aigri par les discussions, offensé par l’éclat de leur force et de leur jeunesse, je me sentais seul avec la France. Je pensais à tous nos camarades, a Bouteiller, à toi, mon cher Sturel, et je cherchais à raffermir ma confiance ébranlée par la sincérité de l’orgueil germanique. Les vents de la nuit ne cessèrent pas de tournoyer sur l’hôtel, d’où leur répondaient les refrains et les « hoch ! hoch ! » des étudiants. Ne pouvant pas dormir dans cette double tempête, je surveillais à travers les vitres la naissance du soleil.