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L’APPEL AU SOLDAT

Leur sensibilité enregistrait toutes les palpitations de ce petit univers, et certains jeux de lumière qui attiraient leurs regards sur le fleuve au fond de la vallée, ils ne purent les revoir par la suite sans que des flots de mélancolie leur vinssent noyer le cœur au souvenir inexprimable du désordre de leurs âmes dans cette soirée.

Quand arriva l’heure du train, ils descendirent la côte à pied, Rosine et Rœmerspacher tenant Mme  de Nelles de chaque bras, à cause des pierres roulantes.

Plus encore que le matin, après une longue journée, il s’attachait à son élégante compagne, en la découvrant soumise aux petites nécessités de la vie. Un peu de sueur sur un joli front, une légère humidité au coin des lèvres, une douce moiteur de la main, tout ce qu’il y a d’animal chez l’être, ajoutent aux motifs d’un jeune homme qui s’éprend. Et puis il voyait qu’avec des moyens différents ils aimaient l’un et l’autre à sortir du convenu, de la moralité et de la hiérarchie mondaines, pour rentrer dans l’humanité. Si les opinions sociales que Rœmerspacher professe choquent toujours la jeune femme, du moins avec lui elle se dégage de son snobisme que Sturel a tant combattu : les simples l’attirent. Peut-être s’égare-t-elle, quand cette fine Rosine, si avertie, avec ses beaux bras, son luxe de jolie lingère, lui apparaît franche et rustique autant que les bûcherons qui mangent du pain noir dans les contes. Mais, avec une imagination toute garnie d’artificiel, Thérèse a le cœur excellent et droit, et elle dit, à propos de sa sœur de lait :

— C’est bon de se sentir ainsi aimée ; cela fait de l’ouate contre la vie.