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LA FIÈVRE EST EN FRANCE

de telles doctrines doivent me contraindre à de tels aveux, mon pauvre grand-père avait une juste prescience de refuser que je vinsse en Allemagne !

« J’ai beaucoup souffert, mon cher Sturel, jusqu’au jour mémorable dont je veux te raconter la crise.

« La veille du 1er  mai 86, avec une bande d’étudiants, je suis allé dans le Hartz pour lire Faust sur le Brocken durant la nuit de Walpurgis. Ai-je eu raison de me laisser tenter par le haut caractère de cette excursion classique et de quitter ma solitude ? Tu m’approuveras au détail de cette scène où sur les hauteurs, j’ai fait reconnaître à nos adversaires la légitimité d’une image que naïvement ils niaient.

« Le 30 avril après-midi, nous montâmes en file la montagne ensorcelée et nous récitions les vers de Faust : « Que sert-il d’abréger le chemin ?… Se couler dans le labyrinthe des vallées, puis gravir les rochers d’où la source éternelle jaillit et se précipite, c’est le plaisir qui assaisonne une pareille promenade. Déjà le printemps se réveille dans les bouleaux. Déjà même les pins le ressentent : n’agirait-il pas aussi sur nos membres ? »

« Quand nous sortîmes des bois sur la bruyère dénudée, nous disions : « Nous sommes entrés dans la sphère des songes et des enchantements. » Et en atteignant l’hôtel du sommet, chacun, par-dessus son épaule, répétait à son camarade : « Tiens-toi ferme au pan de mon manteau… Voici dans le centre une hauteur, d’où l'on voit avec étonnement Mammon resplendir dans la montagne ». Il y avait en vérité de magnifiques oies qui resplendissaient devant nos yeux et nos narines de marcheurs affamés.