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BOULANGER S’ESSUIE LE VISAGE DEVANT STUREL

de l’esprit national tel qu’il le conçoit. Parfois, avec le sentiment plutôt hostile d’un étranger, il se distrait à regarder ce beau quartier de Portland Place. Sur le trottoir, des groupes stationnent. Des curieux, des amis qui attendent une audience, des policiers de Paris. Le Général rentra vers onze heures.

Sturel, usant de la liberté qu’il lui avait donnée, s’excusa de ne point descendre à table ; il craignait que Mme  de Bonnemains ne fût contrariée de paraître devant son voisin de cette nuit.

Il continua tout l’après-midi de travailler, fatigué, fiévreux, accumulant des feuillets que, par-dessus son épaule, toute la France eût voulu lire. De la maison montait un bruit de visiteurs aussi nombreux qu’à l’Hôtel du Louvre ou rue Dumont-d’Urville. Vers deux heures, éclata la haute voix, reconnaissable entre toutes, de Rochefort. Cette maison, si vivante, pleine des agents de l’enthousiasme, journalistes, orateurs, candidats, relevait Sturel des pénibles pressentiments où, cette nuit, les plaintes de Mme  de Bonnemains l’avaient laissé glisser. Ce désordre même du boulangisme ajoute à son prestige sur le romanesque Sturel. Qu’un vaste chêne, dont le branchage crie, soit sur le point d’être déraciné, jamais il n’a manifesté sa force plus puissamment qu’en cet instant où elle faiblit.

Au soir, le Général vint prendre connaissance de ce travail hâtif qu’il approuva.

— Et maintenant, par le premier bateau, portez vous-même ce manifeste à la Presse, à l’Intransigeant, à la Cocarde, au Gaulois ; nous corrigerez Les épreuves… Pour votre circonscription, Naquet vous fera parvenir tous les renseignements.