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L’APPEL AU SOLDAT

naissante, mais encore de cette coupe amère qu’il vient de boire. Du moins, par cette nuit prise sur son sommeil, au milieu d’une si furieuse dépense de vie, il a dégagé sa mémoire, essuyé son visage devant la nation.

— Maintenant, dit-il à Sturel, j’attends encore de vous un effort : que vous rédigiez ma dictée. Le temps me manque. Il faut le plus profond secret. Cette maison est la vôtre, faites-vous servir ; vous déjeunerez avec nous, ou, si vous préférez, dans votre, chambre. Disposez votre travail et votre repos à votre guise, mais il faut que ce soir, par le dernier courrier, vous emportiez votre rédaction à Paris.

Il installa Sturel et vérifia lui-même l’encre, les plumes, le papier. Le jeune homme immédiatement se mit au travail. Un bruit de voix, une longue toux lui apprirent qu’une simple cloison le séparait de cette mystérieuse Mme  de Bonnemains, soigneusement cachée alors par le Général à ses amis. Tous ces premiers instants de l’aube, elle ne cessa de se plaindre doucement, tandis que le Général la servait, l’encourageait. Vers six heures, elle parut s’endormir et demeurer seule. À neuf heures, Sturel entendit le Général qui revenait s’informer de son amie :

— Il faut que je sorte, disait-il ; les journaux de Constans inventeraient que les révélations de la Haute Cour me forcent à me cacher.

De sa fenêtre, Sturel le vit passer à cheval avec Dillon et le capitaine Guiraud ; tous trois se rendaient chaque matin à Hyde Park, de préférence à l’allée de Rotten Row. Fatigué par l’insomnie et pressé de sa tâche, le jeune homme jouit pourtant de se trouver dans une maison française et de travailler au triomphe