Page:Barrès – L’Appel au Soldat.djvu/407

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
401
STUREL RETOMBE SOUS LE JOUG DES CIRCONSTANCES

la terre avec l’homme dont il vient de s’enivrer sur la Moselle, ces gens à particules et qui se croient des aristocrates l’interrompent.

— Ah ! par exemple, disent-ils, voila qui nous paraît bien exagéré !

Le ton de Rœmerspacher indique une façon de mépris professionnel pour Saint-Phlin. C’est un rude travailleur qui parle d’un hobereau spiritualiste. En même temps qu’il prépare son agrégation d’histoire, il étudie sérieusement les sciences naturelles ; il connaît le passé, mais dans les laboratoires il a compris la puissance des faits. Il accepte toutes leurs conséquences, et, en rude Lorrain réaliste, ne s’entête pas a soutenir les vérités qui ont cessé d’être vivantes. Ainsi se définirait-il. Mais tout au fond, s’il s’exprimait avec une entière bonne foi, il ne se permettrait pas de préférer un système à un autre ; ne sait-il pas qu’ils sont simplement des moyens pour les divers tempéraments de s’exprimer ? Si délicat à l’ordinaire et fraternel comme un aîné, il est piqué de voir réapparaître Sturel ; il cherche instinctivement a briller devant Thérèse de Nelles. Elle-même harcèle sur Boulanger le nouveau venu, dont le teint bruni, la bonne santé générale, les yeux brillants de passion politique, excitent à des degrés divers ce jaloux qui s’ignore et cette amoureuse délaissée.

Elle est si jolie pourtant qu’en dépit de ses contradictions systématiques elle rend, après dîner, Sturel à la fois taciturne et plus aimable. Il voudrait bien consacrer à sa maîtresse les courts instants qu’il va demeurer à Paris.

— Voulez-vous me donner à déjeuner demain ? dit-il. Je dois aller à Londres dans trois jours.